Pour un grand nombre d'adultes, l'enfant meurt avec l'adolescence. Emile
Ajar devait avoir une personnalité suffisamment riche pour y conserver
un enfant en parfait état de fonctionnement. Il paraît même
qu'il avait assez de place pour accueillir un autre adulte du nom de
Romain Gary.
A moins que ce ne soit le contraire.
Gros-Câlin (1974)
Editions Mercure de France / Folio
Gros-Câlin est le premier roman de Gary sous le pseudo d'Emile Ajar. Ce
"premier" ouvrage annonce la naissance d'un style très
particulier, propre aux romans d'Ajar. Le héros, narrateur, raconte son
histoire avec ses mots. On rentre de plain-pied dans les méandres de
ses pensés. C'est une lecture qui demande une attention soutenue tant
le récit est libéré de toutes les contraintes de l'écriture
conventionnelle. Le lecteur doit s'adapter au roman, l'apprivoiser en quelque
sorte pour pouvoir en retirer le meilleur.
Un homme ordinaire se noie dans
l'océan de solitude de la capitale française. Comme bouée
de sauvetage, il se trouve un jour un drôle de compagnon : Gros-Câlin.
L'atypique animal de compagnie ne manque pas de sortir son propriétaire
de l'anonymat. Mais est-ce suffisant pour trouver de la chaleur humaine, voir
de l'amour? Ajar donne une réponse en brossant au passage le portrait
de quelques spécimens de la jungle urbaine.
La vie devant soi (1975)
Prix Goncourt 1975
Editions Mercure de France / Folio
La vie devant Soi est un roman parfaitement écrit par un môme sexagénaire.
Le vocabulaire est approximatif, voir employé à contre sens. La
construction est quelquefois bancale. Le regard de Momo, le jeune narrateur,
est parfois naïf et décalé. Cela rebutera certains lecteurs.
Pourtant, toutes ces approximations et cette apparente simplicité dépeignent
la vie de Belleville avec une précision phénoménale. Les
gens simples, les exclus, les marginaux, tous les personnages sont vus sans
a priori, sans fard. Cela est encore plus vrai pour Madame Rosa, la personne
qui élève Momo. C'est une Juive rescapée des camps de la
mort. Momo est paraît-il Arabe. Pour lui, les notions de Juif et d'Arabe
sont abstraites. S'il pouvait en être de même pour les adultes,
le monde tournerait certainement plus rond. Et le centre du monde est plutôt
rond pour Momo, il se résume à un seul nom: madame Rosa.
Ce roman reste toujours d'actualité en ce début de vingt et unième
siècle. Lisez le comme le ferait un enfant, sans a priori. Laissez-vous
porter par la beauté des expressions, mais n'oubliez pas de lire entre
les lignes, vous verrez alors toute la profondeur de ce chef d'oeuvre.