Dans l'indifférence de ses pairs, Serge
se promenait. Le flux de la foule le guidait vers un point non défini.
C'était l'époque où la lumière inondait les
rues, plongeant verticalement vers le goudron, elle le faisait fondre. Le
chaos général de la circulation agitait l'air incandescent.
Pourtant, la chaleur de son corps semblait diminuer sensiblement.
Ses mains prenaient une teinte violette. Soudain, ses membres émirent
une sorte de vibration. C'est à ce moment qu'il prit conscience de
son état : il tremblait. Immédiatement, il fit le rapprochement
avec les derniers bulletins d'information des organismes de santé
: il était atteint de la maladie de Varzeck.
Varzeck était
un homme d'une intelligence hors du commun. Il était connu pour ses
travaux en neurochirurgie. C'était lui qui avait identifié
la maladie communément appelée "thermopathie". Il
en avait clairement décrit les symptômes à travers ses
nombreux rapports scientifiques. Il avait expliqué comment le corps
des patients tombaient en hypothermie, peu de temps après que
les régulateurs biologiques de température aient cessé
leur activité. Varzeck fut l'une de victimes de la thermopathie,
alors qu'il en étudiait le facteur déclenchant.
Serge
passait en revue ses connaissances sur la maladie de Varzeck. On savait
maintenant qu'elle frappait principalement les personnes vivant seules et
coupées du monde. Les chercheurs avaient démontré qu'un
contact régulier avec la communauté humaine permettait de
s'immuniser. Serge pensait à sa vie. Il travaillait à domicile
devant un ordinateur. Il ne communiquait à ses collègues qu'à
travers le téléphone. Il passait toutes ses soirées
devant la télévision. Il ne sortait de son appartement que
pour faire des courses ou se promener.
Rapidement, le corps de Serge
ne lutta plus contre le froid qui l'envahissait. Ses membres arrêtèrent
de trembler. Les désagréments de son malaise devinrent de
plus en plus ténus. Conjointement à l'abaissement de la température
de son corps, une enveloppe cotonneuse s'empara de son cerveau, lui procurant
un bien être inattendu.
Serge continuait à marcher, cherchant
l'ombre. Il avait l'impression que les rayons solaires lui transperçaient
la peau. Ses forces diminuaient déjà. Il s'assit dans une
petite ruelle. Il pensait que sa vie allait finir aussi bêtement que
cela.
Quand il se réveilla dans un lit d'hôpital, il ne
reconnut pas tout de suite l'homme endormi à côté de
lui. Soudain, ses souvenirs revinrent en bloc. Il se rappelait maintenant
comment un homme l'avait relevé, comment cet homme l'avait secoué
pour qu'il reprenne ses esprits, comment il l'avait maintenu dans un état
semi-conscient en l'assaillant de questions. Cet homme qui dormait dans
un fauteuil, c'était son ami d'enfance. Ils avaient tous deux treize
ans lorsqu'un déménagement s'était chargé de
les éloigner l'un de l'autre. Ils ne s'étaient revus qu'une
seule fois depuis. La providence, dans ces circonstances extrêmes,
peut parfois forcer le destin. Serge pensait que son heure n'était
décidément pas venue. Il distinguait sa courbe de température.
Elle semblait atteindre un niveau optimiste. Il faisait partie des rares
cas de guérison spontanée de la maladie. Serge pensait à
présent à ceux qui, moins chanceux, mouraient dans la nuit
sans un ami à leur côté.
Tous droits réservés TheGrou - juin 1994