Vernon Sullivan est un auteur étrange. Il est apparu dans les années
quarante, surgissant d'une lointaine Amérique. Il allait faire de son
premier roman - un roman noir soit disant refusé en Amérique -
un best seller en France. Malheureusement, le bouquin allait trop loin dans
la noirceur pour certains lecteurs Français: il fut interdit de vente
en 1949. Le traducteur, Boris Vian, allait maintes fois être soupçonné
d'être le véritable auteur. Nous le savons maintenant, ces soupçons
étaient fondés. Si au départ le pseudonyme Sullivan n'était
qu'une boutade, il se révéla utile pour protéger Vian des
censeurs. A l'époque, il fallait être fou pour avouer un génie
aussi dérangeant.
J'irai cracher sur vos tombes (1946)
Éditions Scorpion, Livre de Poche
Dans
cette immédiate après guerre, le roman noir était en
quête de best sellers. Cet ouvrage est une oeuvre de commande qui fut
écrit en deux semaines. La vitesse d'écriture se retrouve dans
la vivacité du récit. Ne pensez pas que célérité
et qualité son incompatibles. L'auteur démontre avec brio qu'on
peut écrire bien et vite. Sullivan prouve également qu'il est
possible de décrire un pays sans jamais y avoir mis les pieds. L'action
se déroule aux États Unis dans les années cinquante.
L'histoire tourne autour d'une vengeance machiavélique. Le héros
poursuivra son oeuvre terrible sans se poser de questions. Pas de morale, pas
d'interrogation sur l'après, rien qu'une vengeance. Le texte, qui demeure
très contemporain, ne s'encombre pas de fioriture. C'est direct, violent,
sans détour. Certaines scènes sont proches de l'insoutenable.
Les détails sanguinolents à la Granger (Les Rivières Pourpres)
ne sont pourtant pas légion. La froideur du héros suffit à
créer une tension qui ira crescendo jusqu'a la scène finale. C'est
un roman choc qui a marqué son époque et causé bien des
ennuis à son auteur...
Et on tuera tous les affreux (1948)
Éditions Scorpion, Livre de Poche
Avec
cet ouvrage, Sullivan reprend certains ingrédients de "J'Irai Cracher
sur vos tombes" : on retrouve de nombreuses scènes de sexe, l'action
se passe toujours aux États Unis et le rythme est toujours aussi soutenu.
La violence cède le pas, attaquée de toute part par des pointes
d'humour acéré. L'histoire, passablement loufoque, anticipe quelque
peu sur les progrès de la science et leurs dérives. Un livre
agréable, même s'il n'atteint pas l'intensité du premier
livre signé Sullivan.