Mardi 10 : visite de l’entreprise Gaudin
– Interview de sa directrice Mme Gaudin.
L’entreprise se situe dans le dixième arrondissement
de Paris.
Activité : la confection de vêtements.
Locaux : exigus et vieillots, le personnel à majorité
féminine s’entasse le longs des murs de l’atelier sur
deux rangées. L’atmosphère est chargée
de poussière de tissus.
L’ambiance : laborieuse.
Transcription de l’interview :
- Q : Mme Gaudin, vous avez repris cette entreprise
en difficulté il y a maintenant un peu plus de deux
ans, tous semble maintenant aller pour le mieux, quel est
votre secret?
- R : Effectivement, il y a deux ans, le personnel était
réduit à cinq personnes. Les commandes étaient
quasiment inexistantes. A ce jour, l’entreprise comprend
vingt employés et les commandes comptent maintenant
de nombreux noms prestigieux. La réussite de mon
projet de redressement est basé sur une idée
originale : au lieu de perdre du temps à chercher
un personnel qualifié à travers Paris – personnel
par ailleurs coûteux – j’ai tout misé sur le
potentiel humain local. Vous n’êtes pas sans savoir
que le dixième arrondissement de Paris est l’un des
plus peuplés. C’est aussi l’un des arrondissements
où le chômage est le plus présent. C’est
donc ici que j’ai recruté.
Q : Recruter localement n’est pas
toujours facile lorsque l’on recherche des personnes opérationnelles.
Comment avez-vous fait face à ce problème
délicat ?
R : Au début, le point
le plus crucial fut de faire une sélection parmi
les nombreux candidats. Les annonces que j’avais fait paraître
à l’ANPE ont rencontré un vif succès.
J’ai moi même reçu les candidates. Mes critères
étaient au nombre de trois : parler français,
être propre et volontaire.
Q : Parmi les conditions que vous
évoquez, la possession de la langue française
passe pour être un critères rarement mis en
avant pour un recrutement. Pouvez-vous m’en dire plus ?
R : Bien sûr! Beaucoup d’employeurs
ne citent pas ce critère pour ne pas susciter l’émoi
et la sensiblerie d’une mauvaise presse. Pourtant, posséder
la langue est un facteur clef d’intégration. Le tissus
social de notre région est fortement marqué
par une population d’Afrique du Nord, et il est indispensable
de s’assurer d’être bien compris par ses employés.
Et que l’on ne me traite pas de raciste, car presque tous
mes employés sont d’origine étrangère
! Si j’étais raciste, je préférerai
employer de vrais français…
Q : C’est tout à votre honneur
! Donc, poursuivons sur le recrutement, comment avez-vous
choisi votre personnel ?
R : Là encore, j’ai opté
pour une méthode originale. L’embauche définitive
n’étant possible qu’après une formation de
trois mois, une bonne part des candidats a abdiqué
dès le départ. Cette formation, en plus de
rendre mes employés efficaces, m’a autorisé
à écrémer très rapidement.
Q : La formation était-elle
rémunérée ?
R : Impossible ! Dans l’état
où était la comptabilité, il ne fallait
pas augmenter les frais de personnels avant que la production
ne redémarre. D’autre part, mes employés étaient
bien trop contents qu’on leur dispense un enseignement de
qualité pour demander quoi que ce soit. Imaginez,
ces personnes vivaient de débrouille, quand tout
à coup quelqu'un de désintéressé
s'est penché sur leur vie pour les aider. Et tout
cela gratuitement…
Q : Il y a donc un volet social
à votre action ?
R : Tout à fait! J’offre
à ces gens l’occasion unique de s’intégrer
définitivement. Malheureusement, je dois reconnaître
un certain nombre d’échecs. Ils proviennent sans
doute de la perversion de leurs coutumes. Puis il faut reconnaître
que leur religion est tout de même contraignante.
Il faut quand même garder à l’esprit un soucis
de productivité. L’action sociale n’est possible
que si l’entreprise perdure.
Q : Après la période
transitoire de formation, comment s’est développée
votre société ?
R : Et bien la réussite
des ventes, du point de vue des volumes, provient de nos
tarifs : ils sont inférieurs d’environ 10 pour cent
à la concurrence. Mon personnel connaît maintenant
son métier sur le bout des doigts. Les commandes
affluent, il devient même difficile de les honorer.
Soit dit en passant, mon usine a été citée
dans les dix meilleures progressions du chiffre d’affaire
de cette année. Et encore, ce classement ne tient
pas compte du prévisionnel du dernier trimestre,
qui devrait dépasser toute mes espérances.
Q : Vous allez donc créer
de nouveaux emplois?
R : Malheureusement non, car l’entreprise
est assainie depuis trop peu de temps pour se permettre
des charges supplémentaires. Et vous avez sans doute
constaté que nos locaux n’accepteraient pas une surcharge
de personnel. Nous sommes obligés de recourir aux
heures supplémentaires. De toute façon, cela
va dans le sens de la demande des employées qui ont
souvent de nombreuses bouches à nourrir, et qui peuvent
donc faire face plus facilement au quotidien grâce
au gain supplémentaire réalisé.
Q : Pour terminer cet entretien,
une question difficile : quel est votre échec ?
R : Mon échec est sans doute
la rotation de personnel qui existe ici, et que je n’ai
pu endiguer. Cela représente un quart de l'effectif
par an. Il faut l’attribuer je crois au manque de stabilité
des gens qui travaillent ici. On a souvent l’impression
qu’ils se posent un jour dans notre beau pays pour y puiser
ses richesses, et ensuite retourner d’où ils viennent
et vivre en rentiers. Il est déplorable que ce phénomène
continue, malgré le système de prime d’ancienneté
qui est en place depuis maintenant un an. Malgré
tout cela, je suis fière d’avoir contribué
au développement de ma région et je reste
optimiste quand à l’avenir.
Mme Gaudin, je vous remercie.
Complément d’enquête auprès
des employés:
Rémunération
du personnel :
9 personnes : SMIC
5 personnes : contrat
emploi solidarité ou similaire (un demi SMIC)
3
personnes : formation non rémunérée
Autres personnes : pas d’information.
Le critère
d’ancienneté n’entre en vigueur qu’après deux
ans d’embauche effective. Aucune des 17 employés cités
précédemment ne remplit ces critères. Les
horaires hebdomadaires sont d’environ 50 heures. Ils donnent
lieu à une prime dite de surcharge, d’environ 500f. Le
tarif heure supplémentaire n’est pas appliqué.
La plupart des personnes interrogées jugent ce traitement
anormal. Pourtant, aucune d’entre elle n’envisage d’intenter
une action, préférant garder ce travail pour le
moment.
En guise de conclusion, un phrase de Faïza,
employée depuis neuf mois : « moi je comprend bien
pourquoi la patronne elle aime les étrangers, aucun français
ne la supporterait plus d’une journée. Nous, on n'a pas
le choix. »
Tous droits réservés TheGrou - septembre 1998