Un livre à deux voix : Nathan et Marie-Jo nous emmènent sur les pistes d'un meurtrier. Nous déambulons dans un monde peuplé de cinglés violents, d'antimondialistes, de pontes de la finance ou de la mode. Philippe Djian anticipe la dérive de notre société qui facilite de plus en plus les postions radicales. Il dépeint un monde au bord du gouffre où les personnages tentent de ne pas sombrer.
Nathan et Marie-Jo sombreront-ils à
leur tour? Ces deux personnages sont pétris de contradictions,
ils n'ont pas de vision de leur avenir, ils se laissent dériver
au fil des événements. On tenterait bien de les
aider, leur indiquer une voie. On les accompagne volontiers
jusqu'au bout de ce roman, on finit par les aimer comme des
amis à la dérive. Ça pourrait continuer des pages
et des pages...
Frictions (2003)
Éditions Gallimard
Courant 2002, une nouvelle de Djian
paraît dans le quotidien Le Monde. Cette nouvelle, Frictions,
nous fait rencontrer un garçon de onze ans qui subit, sans
trop comprendre, les aléas de la vie de famille. L'entrée
en matière du texte est directe, en quatre phrases, le ton est
donné et le décor planté :
« Je dois dire que
s’il y en avait un qu’on ne s’attendait pas à voir,
c’était bien lui. Ma mère s’est retournée,
et elle a blêmi. J’ai senti que ma mâchoire tombait. La
dernière fois que j’avais vu mon père, c’était
à Noël. »
Djian lance le récit à
toute vitesse, il colle parfaitement au style de la nouvelle.
Pourquoi s'arrêter en si bon chemin et se cantonner à un
seul texte court? Après tout le garçon n'est qu'au
début de son existence, il lui reste des choses à
vivre. Djian s'est sans doute rendu compte que le personnage, si bien
campé, ne demandait qu'à s'exprimer, qu'à
prendre de l'épaisseur. Le roman comprend quatre autres
épisodes de la vie du garçon dont nous ne connaîtrons
jamais le nom. Ces quatre périodes se succèdent dans
l'ordre chronologique. Ce sont des nouvelles qui pourraient
pratiquement, à l'instar de la première, se suffire à
elles-même. La cohésion de l'ensemble tient à
quelques éléments disséminés ça et
là. Ce sont des indices, des traces qui prennent corps dans le
récit suivant, telles des phrases énigmes, sortes
d'inachevées qui attendent patiemment le défilement des
pages avant de trouver leurs clefs.
Le récit est focalisé sur
les rapports difficiles du personnage principal avec son entourage.
Rapports du fils à sa mère, rapports du conjoint à
sa femme, rapports du père à sa fille, toutes les
combinaisons sont disséquées. Comme souvent dans les
romans de Djian, le monde est bien sombre et l'alchimie des
rencontres n'opère jamais. Selon l'auteur, les êtres
humains n'arriveront jamais à comprendre leurs proches. Tous
les efforts des protagonistes pour se sortir d'un mauvais pas se
solderont par de cuisants échecs. Noir c'est noir, noir c'est
Djian.
Impuretés (2005)
Éditions Gallimard
C'est comme un paquebot à la
dérive, l'équipage semble avoir perdu les cartes de
navigation. Des voies d'eau sont signalées en de multiples
endroits mais personne ne semble savoir comment les colmater.
L'univers dépeint par Djian
ressemble à ce paquebot en perdition. Le théâtre
de l'action est vaste, c'est une colline parsemée de villas de
luxe. Pourtant, ce monde est étriqué et tourne en vase
clos. Les habitants de ce lieux appartiennent à la jet-set, à
la France d'en haut pour reprendre cette méprisante
expression. Mais le roman se situe-t-il réellement en France?
Sommes-nous en présence de personnes aptes à prendre de
la hauteur? On peut en douter.
Cette micro-société est
vue à travers le regard d'un adolescent, Evy. Lui et ses
quelques amis forment un groupe aux moeurs étranges. Ils
semblent avoir perdu tout repère et entretiennent des rapports
chaotiques avec le semblant d'autorité qui les atteint
parfois. Prenez Evy, par exemple. Il est le fruit des amours d'une
actrice et d'un écrivain. On suppose que ce couple fut
flamboyant mais c'était à une autre époque. Evy
voit le naufrage de ses parents depuis bien longtemps et ils n'en
finissent pas de sombrer. Comme si ça ne suffisait pas, Evy a
vu sa soeur mourir une belle journée d'hiver. Comment réussir
à surnager dans ce climat?
Djian nourrit ce roman en reprenant les
thèmes qui lui sont chers. Il laisse peu de chances à
ses personnages. Malgré cela, il se positionne comme le témoin
du récit et semble quelquefois atterré par la tournure
des évènements. Cette semi-distanciation affirme sa
liberté de ton et donne un peu de chaleur à cette
peinture qui en manque cruellement.