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Coureuse

Courir courir courir, d’accord, c’est mon seul leitmotiv. C’est vrai, je ne m’étais jamais demandée ce qui pouvait me pousser à cumuler autant de pas. Il n’y a pas d’utilité propre à ce geste, je cours, c’est comme une évidence, cela s’impose à moi. Mes jambes réclament leur exercice quotidien, c’est comme ça. Mon corps s’enlise, s’asphyxie s’il reste inactif plus de vingt quatre heures.

Pourquoi m’a-t-il dit que je courrais pour fuir le temps qui passe ? Il est à coté du sujet : j’ai commencé la course il y a plus de dix ans...  A l’époque, peut-être ai-je voulu chasser  mes sempiternels kilos superflus ? J’ai troqué le repas du midi contre des kilomètres de souffrance. Puis je me suis habituée, mon souffle est devenu plus régulier, mon coeur  s’est calmé, mon organisme a trouvé une vigueur nouvelle. Je suis devenue une autre femme. Avec la fonte de mon enrobage si familier, ma silhouette est devenue légèrement androgyne. Mes hanches se sont estompées, mon ventre est devenu plat, mes seins se sont mis à flotter dans le bonnet C. J’ai du changer la plupart de mes vêtements. De toute manière, ils ne me correspondaient plus. Mon mari s’est mis à me regarder telle une étrangère. Je ne pensais pourtant pas avoir modifié ma manière de vivre, mais il faut bien reconnaître que ma transformation physique eut des effets secondaires sur ma dynamique. La nonchalance qui m’était familière s’est désagrégée petit à petit. Elle a fait place à un sentiment de puissance qui reste toujours d’actualité. J’ai l’impression de pouvoir tout demander à mon corps, il ne semble plus encombré de frontières, de limites.

Qu’est-ce qui lui prend à théoriser sur le jogging ? Mon fils veut-il me mettre mal à l’aise ? Je ne comprends pas son jeu. Bien sûr je ne nie pas la présence des endorphines dans mes veines, mais je n’accède pas aux paradis artificiels pour autant. C’est juste une petite compensation de l’effort. On se sent en harmonie avec sa chair, ses muscles. Une sorte de Zen en somme.

Pourquoi me pose-t-il cette question indécente ? Ne plus pouvoir courir... Cela arrivera évidemment, mais pas avant dix, vingt ou trente ans. Ou alors l’accident sera là pour me faire déchanter prématurément. Je perdrais peut-être l’insouciance du lendemain. La douleur que je ne connais plus depuis des années  redeviendra une notion concrète.
Mais après tout, je n’ai que cinquante ans. Je peux encore tracer des arabesques pédestres avant que mon fils ne me rattrape. Quand l’âge m’imposera la statique, je serai enfin à sa disposition, j’arrêterai de le fuir. Mon fils.
Tous droits réservés TheGrou - mars 2002

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