Les caricatures nous permettent, en grossissant la paille
qui est dans l'œil du voisin, de s’interroger sur la poutre qui réside
dans le notre. Certaines personnes sont de véritables caricatures.
Il est difficile de passer à côté sans en faire un portrait
en gros plan…
Ils sont en fait trop isolés des choses du monde, ils ne baignent
que dans un univers - leur univers - trop restreint pour qu’ils ne s’épanouissent,
qu’ils ne se cultivent, qu’ils ne se socialisent. Ils n’ont de la vie que
la vision étroite de leur travail agricole. Ils se replient sur un
passé de labeur, de difficultés, d’injustices. Ils ont de
l’argent, certes, mais qui dort dans un placard entre deux piles de
linge. Une exception : la voiture, un modèle récent, cher
et prestigieux. Bien entendu cet investissement s'est fait au détriment
d'autres choses. La machine à laver par exemple, qui expire un peu
plus à chaque lavage en lançant des cris de douleur contenue.
Mais c'est aussi la cuisine aménagée d'une façon rudimentaire,
la porte qui empêche tant bien que mal la chaleur extérieure
de rentrer. Quant aux toilettes, elles sont restées dans le jardin,
affrontant bravement les intempéries.
Cependant, l'intérieur de la maison comporte une pièce confortablement
aménagée : c'est le salon. Une pièce que l'on préserve
de tout, de la poussière, de l'usure et des salissures. Une pièce
ou l'on ne vit que quelques jours par an.
Les deux habitants de ce lieu si rare et si répandu ont des personnalités
simples. Elle, un corps imposant mais malgré tout mobile, un regard
bleu délavé vide de tout sens, s'immisce dans la conversation
par quelques mots alignés sommairement mais avec une telle fréquence
que l'on n'imagine même pas d'autres phrases sortir de sa bouche.
Ses «bi-sûr» approuvent même la phrase la plus anodine.
Seule la propreté de la cuisinière ou la nourriture des poulets
semble l'obséder ou l'intéresser. Même les deux
chiens, attachés dehors par des chaînes d'un double-mètre,
demeurent au soleil sans eau. Un oubli sans doute, une négligence.
Le chat, lui, se distingue par une maigreur cadavérique. Il est vrai
qu'il peut se nourrir seul, et que les souris et mulots doivent l'attendre
dans un coin du grenier ou dans les champs. Ce n'est pas lui, l'homme, le
chef de la famille qui s'occupe de ces animaux. Il a d'autres choses à
faire. Le temps de la retraite ne l'empêche pas de revêtir son
habit de travail et de vaquer à de mystérieuses occupations.
Sa qualité principale est sa mémoire, qu'il interroge souvent,
avec fierté, se gonflant de sa précision et de son inaltérabilité.
Seule ouverture sur le monde : le fils « aux études »
dans une ville éloignée. Ils ne savent pas grand chose de
ce qu'on lui enseigne, mais ils savent que ce sont les études les
plus difficiles qui soient.
Ils vivent avec autour d'eux des cloisons invisibles et indestructibles
: la peur de l'inconnu, la peur de l'étranger, la peur de «l'extérieur».
Tous droits réservés TheGrou - août 1990